mardi 28 février 2017

A



L'Abécédaire du Petit Père Païen
A comme Athée (et Agnostique)

A quoi la religion peut-elle bien servir ?
A faire de nous de parfaits athées.

Mais pas comme vous l’entendez, vous, les Agnostiques et Athées ordinaires, majoritaires dans mon milieu d’origine et dans mon entourage, et qui ont longtemps représenté pour moi la normalité, la référence en matière de métaphysique.

Je suis né en effet dans un milieu et à une époque où le monde était naturellement coupé en deux : celui des mécréants et celui des béni-oui-oui. Mes premiers pas dans l’investigation métaphysique ont donc été ceux d’un athée de combat : les religions ne pouvaient qu’être les derniers vestiges d’un monde en cours d’extinction, peuplé d’humains apeurés par la violence de phénomènes naturels longtemps inexpliqués, mais qui, de droit, ne manqueraient pas de l’être un jour. Il ne saurait en être autrement : pas d’alternative possible entre l’incroyance et la foi, entre la vérité positive et la superstition, entre Rahan et le sorcier pervers.

Mais, à l’heure où mes camarades Catholiques revenaient de plus en plus sourcilleux et sceptiques du catéchisme, voilà que je me prenais à faire le chemin inverse. Un appel sans mots, une convocation impersonnelle s’était manifestée dans mon ventre, et mes glandes endoctrines m’instillaient la conviction que l’Univers était vivant, bien plus profond qu’on ne pourrait jamais l’imaginer, et doté d’une immense conscience, qui, pour être muette, n’en dépassait pas moins tout langage.
Il fallut donc me rendre à l’évidence : j’étais un Athée mystique. C’est à un Catholique attentif et bienveillant que je dois d’être sorti du dilemme métaphysique de l’époque : c’est grâce à lui que j’ai compris qu’il existait une tierce voie entre croyance et incroyance, une autre foi appelée Panthéisme, la foi d’antan, celle des Païens. Et c’est ainsi que je désertais la guerre picrocholine des cul-bénistes contre les anticalotins. 

Une fois fait ce pas de côté, je me mis à observer les mécréants et les béni-oui-oui d’un regard neuf. Qui sont-ils réellement, les uns et les autres ? D’où viennent-ils ? Quel est le sens de leur croyance et de leur mécréance dans le Grand Théâtre Cosmique ?

Il me fallut d’abord me dégager des confusions que les uns et les autres avaient entretenues et perpétuées avec plus ou moins de complaisance (et de complicité implicite) depuis quelques siècles. « Non Monsieur, je ne suis pas Athée, ni Agnostique, mais Païen : difficile de trouver plus religieux que moi ! » devais-je préciser aux Athées qui me croyaient des leurs. Et la réaction ne se faisait pas attendre : « Quelle horreur ! Adorer un Dieu est déjà stupide, mais en adorer douze ! »
Mais du côté de la « superstition », l’incompréhension n’en était pas moins grande : comment pouvait-on sérieusement, après l’avènement providentiel du Monothéisme, continuer à nourrir des croyances archaïques que l’évolution naturelle du sentiment religieux avait jetées depuis longtemps aux poubelles de l’Histoire ? 

A ce stade de son aventure spirituelle, notre Candide spirituel commença à débusquer quelques lièvres, depuis sa position excentrique… Donc, Athées et Monothéistes s’entendaient tacitement sur une vision implicite de l’Histoire des Religions, selon laquelle cette Histoire serait régie par un schéma évolutif où Christianisme, Islam ou Athéisme devraient naturellement occuper la place sommitale, celle du Grand Aboutissement, de la Perfection Nécessaire et finale, alors que les autres formes religieuses, de par leur antériorité, représenteraient fatalement des formes inabouties, « primitives » voire inférieures…Bref, des sortes de brouillons. Bien entendu, chacun tirait à soi la couverture de l’évolution, et les Athées infligeaient aux Monothéistes la loi d’obsolescence dont ces derniers avaient eux-mêmes frappé les Païens ; Quant aux Chrétiens, ils voyaient dans l’Athéisme le retour d’une improbable réaction Païenne…

Autre lièvre levé : les tenants des différents Monothéismes, si prompts à s’enflammer lorsqu’on mettait en cause la sincérité de leur foi, pouvaient donc contester la sincérité de la foi d’autrui, lorsqu’ils étaient impuissants à la comprendre…Ils étaient donc, d’une certaine manière, susceptibles d’un certain « Athéisme », et pouvaient sans broncher taxer de superstition (c’est-à-dire de supercherie spirituelle) des croyances qui n’étaient pas les leurs. Ils appelaient cela l’« idolâtrie », terme qui pour eux désignait l’abomination la plus atroce, plus atroce encore que l’Athéisme…Qui lui, ne faisait finalement que retourner contre eux, en les renvoyant dos à dos, l’accusation d’idolâtrie.
Candide comprenait donc maintenant à quel point Athéisme et Monothéisme, comme il en avait depuis longtemps l’intuition, avait partie liée…Il émit même l’hypothèse que le premier était probablement le descendant spirituel du second : Chronos le Théophage avait sans doute fini par se dévorer lui-même…

Ainsi s’éclairait, sous un certain angle, la boutade qui ouvre cet article : c’est sans doute avec le Catholicisme qu’on fait les meilleurs Athées. Mais sont-ce pour autant des Athées parfaits comme ils aiment souvent à le dire (« pour ma part, je suis parfaitement Athée ») ? Y-a-t-il un Athéisme imparfait ? Y-a-t-il seulement plusieurs Athéismes ?

Il y a, sans doute, autant d’Athéismes que d’Athées, parce que l’Athéisme est un choix métaphysique essentiellement individuel, d’une part, une démarche foncièrement adogmatique, d’autre part. Voire. Toujours est-il qu’on peut sans doute distinguer trois formes d’Athées : les Athées opposés au concept de Dieu, ceux qui abhorrent toute forme religieuse, surtout dogmatique, et enfin ceux qui manifestent une allergie au sacré (ces deux dernières formes sont très proches). Et puis, au-delà de l’Athéisme strict et assumé, il y a la morne mer de l’indifférence religieuse, celle de l’Agnosticisme.
L’Athéisme se présente presque toujours comme la réaction à un dogme donné, qui, dans l’immense majorité des cas, est un dogme Monothéiste. Il apparaît en général comme un Monothéisme négatif ou séculier, et en adopte bien souvent les schèmes et les réflexes, en affectant simplement Dieu du signe moins : aux Témoins de Jéhovah s’opposent les Témoins de Jéhova-pas.

Les tenants de cet Athéisme en viennent souvent à éprouver une sincère pitié pour les croyants, qu’ils comparent volontiers à des demeurés, quand ce n’est pas à des victimes d’addiction ou de pathologies mentales. Cependant, (ils n’en sont certes pas à une contradiction près) leur compassion ne va pas jusqu’au désir de soin qu’on doit légitimement avoir pour toute personne malade, et leur discours est presque toujours stigmatisant et culpabilisateur, rejoignant ainsi leurs adversaires monothéistes dans la structure du propos.

Ces Athées-là sont essentiellement animés par la colère, et sont souvent obsédés par Dieu et par la religion, au point qu’ils pourraient faire passer de nombreux croyants pour de tièdes Agnostiques. Parmi eux, une minorité force le respect : ceux qui ne passent pas une heure sans partir à l’assaut du Ciel en proclament comme une prière la non existence de Dieu, sorte d’anti-credo dont la ferveur ne le cède en rien aux envolées mystiques d’une sainte Thérèse ou d’un saint Ignace. A ce stade-là, on frise la sainteté. L’Hindouisme, dans son immense et foisonnante mythologie, n’a pas manqué de mentionner cette sorte de ferveur inversée, à travers la figure des grands Asura tyranniques des temps anciens.

Une autre forme d’Athéisme est l’Athéisme hiérophobe, c’est-à-dire éprouvant un sentiment de gêne extrême envers toute manifestation du sacré, en particulier rituelle. Tout se passe comme si la personne éprouvait une impression de décalage intense où se mêle de manière difficilement soutenable l’obscène et le ridicule ; ce ressenti est comparable à celui qu’on peut avoir lors d’un attentat à la pudeur, où la honte se mêle à l’envie de rire aux éclats. Cet Athéisme-là conçoit le sacré et ses manifestations comme essentiellement inconvenants et scandaleux.

On pourrait être tenté de voir dans ce type de réaction, somme toute assez universelle devant l’altérité, le résultat d’une éducation, ou plutôt d’un défaut d’éducation, d’une lacune dans l’approche du sacré. Cette carence éducative se retrouve souvent d’ailleurs dans le domaine de la sexualité où elle engendre des malaises comparables. Il est cependant à noter que ces deux formes d’Athéisme, hiérophobe et, disons, théophobe, sont distincts. De nombreux Athées en effet aiment assister à des messes, par exemple, et en conçoivent même parfois une certaine nostalgie du Divin. Mais la vision Monothéiste du monde, selon laquelle Dieu est absolument indépendant de tout évènement mondain, ne peut satisfaire leur nostalgie : ils ne peuvent admettre que le Divin puisse être sécrété par le rite lui-même, une peu comme les enfants sont engendrés par le coït.

Toutefois, l’essentiel de l’Athéisme revient sans doute à l’indifférence religieuse, largement entretenue par la sécularisation des sociétés, et qu’elle contribue d’ailleurs à renforcer. Ici, Athéisme et Agnosticisme ont tendance à se confondre dans une sorte d’impuissance spirituelle congénitale. Il s’agit là d’une incapacité de l’âme à accéder à la spéculation métaphysique et à la contemplation des vérités supra-individuelles. Cet Athéisme-là est inattentif et inobservant : c’est celui des négligents qui s’opposent aux religents. Il se nourrit de l’ignorance métaphysique et constitue une sorte d’analphabétisme à l’égard des symboles et des mythes. C’est un athéisme civilisationnel, qui caractérise la Modernité.

Si cette masse indifférente a toujours existé, elle était en quelque sorte occultée dans les sociétés traditionnelles, où elle était comme « canalisée » dans des formes de spiritualité qui lui convenait : une sorte de religiosité passive et latente. En Grèce et à Rome par exemple, elle formait la foule des « non-initiés » (amuètoi) évoluant en dehors des écoles de sagesse et participant passivement aux cultes publics, qui représentaient pour eux la « dose » suffisante convenant à la capacité contemplative limitée de leur âme. Ici, l’Athéisme confine à la superstition : le matérialisme est sans doute l’équivalent épistémologique séculier du littéralisme borné des religions dites révélées lorsqu’il s’agit de déchiffrer la Révélation Cosmique, c’est-à-dire de faire l’exégèse du Liber Mundi. Un tel littéralisme est indispensable, mais le stade du simple déchiffrement ne saurait définir un authentique lecteur.

L’Athéisme envisagé jusque-là est essentiellement areligieux ou antireligieux, et son développement évolue tout naturellement de concert avec celui de la Modernité dont il est le corrélat. En effet, la Modernité se caractérise, entre autres, par la fermeture et l’uniformisation du réel, par la prééminence progressive des aspects quantitatifs de celui-ci aux dépends des aspects qualitatifs, ainsi que, du point de vue du sujet, par l’autonomisation complète de l’individu au détriment de ce qui le dépasse.
Ainsi, l’on peut voir dans l’Athéisme moderne la religion de l’individu auto-référent désormais livré à lui-même ; en d’autres termes, l’Athéisme, religion ultime de l’humanité, n’est autre que la Déreligion, c’est-à-dire la religion en tant qu’elle se nie elle-même. On peut observer ce phénomène à l’œuvre dans le développement des religions séculières depuis le XIXème siècle et tout au long du XXème siècle (avec le Stalinisme, les Fascismes et tous les avatars du Libéralisme qui proposent un absolu de substitution à l’adoration des masses). Par ailleurs, cette Déreligion a eu ses missionnaires et s’est largement répandue hors d’Occident par le biais de la colonisation, autre aspect historique majeur de la modernité. Ainsi le monde entier est-il désormais tenu de vivre à contre-temple, de célébrer la messe des masses, suivant la liturgie léthargique de l’auto-optimisation sportive. C’est l’Athéisme du Léthé.

Aussi, il nous semble évident qu’une restauration traditionnelle comme l’est le Paganisme Résurgent ne saurait avoir partie liée avec cet Athéisme-là, sous peine de perdre son âme et de tuer dans l’œuf la Résurgence même qu’il appelle de ses vœux. Il est clair que, dans le contexte moderne de civilisation globale séculière, le Paganisme Résurgent se situe dans l’espace laissé libre par les Monothéismes Abrahamiques spoliés de leur action prédatrice, d’une part, et par l’Athéisme conquérant de la modernité, d’autre part. Un matérialiste Athée, antireligieux assumé, ne saurait donc sans contradiction insurmontable se réclamer du Paganisme.

Pour les Anciens, d’ailleurs, un Athée n’était pas, au sens propre, un ennemi des Dieux ou de la religion ; un Athée, au sens antique du terme, est d’abord un infortuné mortel que les Dieux ont abandonné à son triste sort et duquel ils se détournent. Si cet abandon, synonyme de tragique malchance, peut parfois provoquer une révolte du côté humain, celle-ci n’est pas première : c’est une réaction au désespoir consécutif à l’attitude de la divinité, dont la réalité ne fait par ailleurs aucun doute.

Mais il existe cependant un Athéisme non matérialisme, un Athéisme dont on peut oser dire qu’il est traditionnel, et celui-ci présente deux aspects. 

Sur le premier de ces aspects, je ne m’étendrais pas, essentiellement par incompétence, mais je tiens ici à lui rendre l’hommage qui lui est dû. Il relève d’une vision tout à fait traditionnelle du Monde, et permet une contemplation parfaitement efficace, à ce que j’ai pu en juger. Il est le fait des adeptes du Chamanisme et de l’Animisme, ainsi que du Taoïsme, du Bouddhisme et d’autres religions de ce type. Cet Athéisme-là n’a évidemment rien à voir avec ceux que j’ai décrit plus haut, puisqu’il conçoit un Cosmos ouvert et fluide, tissé de relations incessantes entre le visible et l’invisible, la matière et l’esprit envisagés comme les deux versants d’une même montagne. Cet Athéisme, que je qualifierais volontiers de « magique », a bien évidemment droit de cité dans le Paganisme contemporain, auquel il appartient tout naturellement.

L’autre aspect de cet Athéisme traditionnel, et qui n’est pas non plus justiciable de la critique de l’Athéisme moderne, est peut-être appelé ainsi de matière abusive. Peut-être en effet faudrait-il plutôt le qualifier de Métathéisme, si on veut bien m’autoriser ce néologisme. On le connaît depuis l’Egypte ancienne, en passant par la Grèce et Rome, et jusqu’au cœur même des Monothéismes, puisqu’aussi bien Isaac Louria, Mansour Al-Hallâj ou Maître Eckhart pourrait en être les dignes représentants.

Cet Athéisme-là, c’est l’Athéisme de Dieu lui-même.

Il y a donc une nécessité métaphysique et théologique de l’Athéisme. 

Et si Dieu était lui-même Athée, et si c’était à l’homme lui-même, sinon de prouver, au moins d’assumer l’existence de Dieu ? 

A l’« arbitraire positif » grâce auquel Dieu jaillit de son absolue transcendance, répondrait l’ « arbitraire négatif », reflet inversé de la Liberté Divine (rendue possible par l’autonomie humaine). Dieu, en tant que tel, est nécessairement le Dieu de quelque chose et de quelqu’un.
L’apospasme par lequel la Divinité, telle un brasier, détache une part d’elle-même pour nous donner l’existence (Epictète, Entretiens XVII, 27) est une négation de Dieu par lui-même. Cette auto-négation est décrite dans les Mythes comme extrêmement violente : la castration d’Ouranos, dans le domaine du macrocosme, comme amputation (apotomé) de l’Infini ; le démembrement de Dionysos, dans l’ordre du microcosme, comme démembrement du Tout Unique en un nombre indéfini de parties qui se conçoivent comme autant de touts singuliers.

Il s’ensuit que l’Un reste désormais caché dans son ombre. Lorsqu’il existe, l’Un n’est plus un ; lorsqu’il est Un, il n’existe pas, nous enseigne Platon dans son Parménide (première hypothèse).
Or, cette violence primordiale que le Divin s’inflige à lui-même suscite, comme toute violence, son Erinye : celle-ci jaillit des ténèbres primordiales comme Colère infinie, Nostalgie du Néant. Elle s’avance à rebrousse-Dieu, et prend d’emblée les traits d’une horreur à la mesure de l’Infini dont elle doit venger la blessure. Les figures mythiques de cette fureur originelle sont nombreuses et universelles : en Egypte, Apophis, l’Ennemi des Matins, essaie d’empêcher l’être de se reconduire de cycle en cycle, au Monde de se succéder d’âge en âge. Il est le ver qui ronge la pomme du monde, qui l’évide pour contrefaire l’Evidence perdue et creuse en elle le sombre réseau des galeries du Néant, contrefaçon des ténèbres photogènes. Nul doute qu’à la fin des faims, le fruit dévoré, il ne tombe d’une chute indéfinie, ou qu’il finisse par se manger lui-même : ouroboros.

Car l’être est nécessairement tissé de négations, au risque de sombrer dans l’indistinction qui est celle de l’Un qui le dépasse et lui est « antérieur ». Il est donc d’emblée multiple, quoiqu’ en lui prédomine forcément l’unité ; sans quoi il disparaîtrait dans la dispersion pulvérulente. Ainsi l’Etre est-il tendu, en équilibre instable, entre deux néants qu’il « sépare » et « unit » simultanément : le néant par excès et le néant par défaut. 

La Réalité une et indivisible, pour exister véritablement, doit prendre conscience d’elle-même. Cette conscience réfléchie suppose qu’elle se divise contre elle-même pour se rencontrer elle-même après avoir joué à cache-cache avec sa propre identité. Pour que ce jeu ait lieu, Il doit nécessairement rester un doute. Et c’est justement cette occultation d’une partie de la Réalité par elle-même, cette éclipse de l’être par l’être, qui permet l’avènement du Je, à la pointe extrême de la partie occultée du Réel, mise ainsi sous pression, et portée pour ainsi dire à incandescence ontologique par l’angoisse de se perdre.

Dans la dualité ainsi ménagée, il reste encore un résidu dangereux de non existence, un risque de régression vers l’abscondité où se complet l’Essence Divine. En effet, il y a risque de faux témoignage et de confusion : « je suis le Réel et tu es mon témoin » contre « Non, c’est évidemment l’inverse ». Piège mortel de la fascination spéculaire, du narcissisme originel qui se noie dans la confusion du rêve et du vrai. 

Lorsque Dieu sort de lui-même, il s’oublie : et cet oubli, c’est la Matière, qui est comme la fossilisation de son essence, sa réification (ou plutôt, son image en creux, la fosse laissée par son existence : la consistance), son intimité abandonnée, extériorisée, devenant inimitié. Dès lors Dieu cherche à se rattraper lui-même : il fouille le cœur de l’autre pour se retrouver en tant qu’Autre absolu, pour se reconnaître lui-même comme transcendant au cœur même de l’immanence : c’est l’humanescence. Le Néant et la négation sont ce qui permet à Dieu d’exister dans la forme ; c’est ce qui lui permet de peindre son portrait en clair-obscur. 

Ainsi, le Créateur travaille la matière d’un cadavre en contemplant le Vivant : car Dieu est et simultanément n’est pas ; Il est simultanément mort et vivant ; c’est sa propre chair cadavérique que le Démiurge travaille et pétrit comme si elle lui était étrangère ; et ce Dieu dédoublé des commencements paradoxaux n’est autre que notre Janus, qui accueillit Saturne en exil dans sa Nature Cachée (le Latium, pays latent). Le Démiurge poursuit fébrilement dans la matière l’image énigmatique et rebelle de son identité perdue. Amnésique, il interroge le miroir de son identité aliénée, la Matière Divine. Ou encore : Dieu a besoin de croire en lui-même pour exister pleinement, et il a donc besoin qu’on le nie. Dieu ne devient lui-même qu’en s’appliquant à lui-même le ciseau de la mort : ce faisant, il sculpte une image qui est à la fois lui-même et non lui-même. 

La Religion fut donc inventée par Dieu lorsqu’Il s’avisa de rendre les hommages funèbres à Dieu mort en couches, après la naissance du monde. Et ce furent les Obsèques Absolues. Aux funérailles de Baldr, dit le Mythe, toutes les créatures vinrent le pleurer sauf une : la Sorcière Hyrrokin, montée sur un loup, dont le refus pervers fit que Hel ne fut pas frustrée de son dû. Ainsi fut accompli le Destin, et la Loi Cosmique ne souffrit point d’exception. Et cette loi nous enseigne qu’à l’Apospasme Divin répond nécessairement l’Apostasie humaine.

Comme l’Un se cache dans son ombre, le Soi est caché par sa propre évidence. A l’amputation du Premier Dieu répond le démembrement du Dernier. L’Apostasie prend racine dès l’éternité, avant même que le monde ne soit manifesté, et elle se poursuivit en cascade jusqu’à l’avènement de l’homme concret, en son état individuel cerné par les circonstances, plus petit quantum d’expérience intégrale possible. Car, dès lors que l’Un s’est apostasié dans l’hypostase comme Intellect (castration d’Ouranos), ce dernier est ensuite apostasié dans l’Âme (révolte de Zeus et exil de Cronos), qui elle-même s’apostasie à son tour dans le corps dont elle devient servante (Héraclès et Omphale, sous un certain angle, perte d’Hylas, sous un autre : voir infra).

Or, la démesure qui gît dans le Tartare de la psyché humaine est le reflet de l’illimitation divine du Ciel Etoilé : au Dieu irrévélé, répond nécessairement l’homme irrelié, animé d’une hybris symétrique à la fureur originelle du Ciel castré. Une fois émise par le foyer bienheureux de l’Âme du monde, l’âme particulière voit se déchaîner inévitablement en elle cette démesure, qui la fait siffler comme une escarbille crachée hors du brasier. C’est alors que se manifeste la goétie de l’Ego : la conscience, jusqu’alors omnicentrée, devient idiocentrée et perd ses facultés divines. Le nomen cache le numen (le véritable Nous-mêmes), et la pupille s’obscurcit, voilant le regard divin qui passait par elle. C’est Hylas, le compagnon d’Héraclès qui, capté par la séduction des nymphes aquatiques avides de lumière intelligible, va se noyer avec délices dans les eaux de la Dissemblance. Le moi se déploie alors comme une fumée qui voile et nie le feu dont il est issu : on reconnaît là l’œuvre de Typhon, le rival de Zeus, maître de la fumée qui masque et étouffe. Ainsi, l’on peut dire de cette âme qu’elle est doublement Athée : elle ne reconnaît plus en Dieu sa propre nature, et se croit abandonnée de lui.
Une telle âme est comparable à Psyché dont la curiosité malsaine a provoqué la fuite de son céleste Amant : âme désolée, désailée et dé-zélée, en proie à l’illusion et à l’impuissance. Illusion de croire que le Dieu s’est détournée d’elle ; les Bienheureux ne se détourne jamais de quoi que ce soit en leur souveraine spontanéité : c’est l’âme qui ne peut comprendre leur Pronoïa, étant elle-même coupée de ses racines intellectuelles, en tant que paranoïaque. Séparée de l’Âme du monde, elle se croit emprisonnée dans ce dernier (alors que c’est en réalité elle qui le contient), dont elle tient les contraintes pour objectives (alors qu’elles ne sont que constructions subjectives). Impuissante, car l’omission de l’omniscience dont elle s’est rendue coupable inhibe en elle la fonction cosmopoétique qui était la sienne de toute éternité, et le vestige de cette fonction est devenu la raison dianoétique et le langage extérieur qui l’accompagne comme une sorte de consolateur en son exil ; consolateur bien ambigu au demeurant puisqu’aussi bien il la berce et éloigne d’elle le souvenir de ses origines.
Il s’ensuit que l’âme, ainsi dépossédée de ses prérogatives divines, s’imagine créée par un Dieu à son image, sévère et souverain, qui aurait créé le monde par son langage performatif, celui qu’elle a précisément perdu, et l’y aurait enfermé pour la punir de cette perte même. L’Athéisme serait dans ce cas la réaction la plus saine contre cet Être aussi suprême que pervers. Mais il s’agit en réalité d’un combat de Dieu contre lui-même qui se joue à travers l’Homme.

On l’aura compris, l’Homme est un Dieu dévasté, privé de lui-même, ayant perdu de vie sa propre infinité. Dans son errance même, l’âme a oublié le sens ultime de son trajet : l’Homme est un ciel qui cherche un Ciel, mais qui s’est perdu en chemin dans l’opium de l’opinion. L’Histoire humaine n’est rien d’autre que le discours dianoétique que l’Un tient sur lui-même, dans l’ordre naturel, par le texte mondain. Cette raison discursive, livrée à elle-même, conduit naturellement à l’oubli du Divin. Tel un astre, l’âme particulière suit son orbite destinale et passe nécessairement par certains angles de vie impliquant des éclipses divines, conséquences normales et malheureuses d’une conscience partielle et partiale. 

Ainsi, l’Athéisme explore la réalité ultime de l’individu en tant que tel : il est l’expression dogmatique du sommeil de l’Âme, où celle-ci se nie dans l’amnésie. Il est comme le rêve d’une Ariane endormie. Mais il n’est de Naxos où Dionysos ne finisse par débarquer…En attendant, la voilà livrée à la crue du Styx, confrontée au miroir funeste de la matière dont l’indétermination lui inflige mille morts…Et mille vies, car elle ne peut se résoudre au Néant, qui ne lui appartient pas en tant qu’âme, étant le privilège de Dieu. Cette confrontation est dangereuse pour l’âme, nous enseigne Plotin, car elle comporte le risque d’une sortie du réel et d’une errance indéfinie dans les arrières-mondes. Mais cette rencontre avec la Matière est cependant incontournable dans la mesure où celle-ci est le fidèle miroir de l’abscondité divine : à l’abscons infini d’« en haut » répond de manière spéculaire l’absurde indéfini d’« en bas ». Il n’est alors que de dénouer le sortilège narcissique qui fait de l’homme un Dieu étranglé, étranger à lui-même, un Dieu en suspens, comme Odin sacrifié à lui-même.

C’est donc d’un rendez-vous initiatique qu’il s’agit, d’une confrontation de la Pensée avec sa propre négation : c’est le début d’un dépassement de l’individu, d’une sortie de la pensée corporelle qui faisait de Dieu une sorte d’individu suprême. Contradiction comme nécessaire friction : l’âme vient s’aiguiser sur le cuir de la matière pour mieux refléter le Mystère d’en-haut. Arrivé au fond, le plongeur a donné le coup de talon nécessaire à sa remontée : l’anamnèse a inversé la catamnèse, et Dionysos, Dieu en nous, a commencé son remembrement. Car Dieu conquiert grâce à nous sa propre existence ; Dieu s’invente perpétuellement à travers nous, par une co-construction, une con-création, une sympoésie…C’est peut-être le sens de l’Inventio Osiridis.

L’Athéisme est donc une modalité nécessaire de la Conscience Universelle que la Réalité a d’elle-même. Il est comparable au tain opaque qui permet au miroir de renvoyer l’image divine. Pour être authentiquement vivant afin de se retrouver lui-même, le Dieu doit pouvoir se perdre en tant que tel et prendre le risque de son propre égarement, c’est-à-dire de ne pouvoir jamais être ni démontré, ni infirmé. Car à l’instant même, en effet, où il se manifesterait d’une manière obvie et mesurable, il cesserait immédiatement d’être crédible, et ce, d’abord par lui-même. Ce faisant, il réunifierait en un éclair les deux hémisphères de la Réalité, ce qui moucherait immédiatement la flamme fragile de la conscience. C’est ce que nous enseigne le mythe de Sémélé, qui exigea de Zeus qu’il se manifestât à elle en sa pleine majesté divine. Autrement dit : si les Athées n’existaient pas, il faudrait les inventer, car sans eux, ni les Dieux ni les mortels ne pourraient exister, et on ne pourrait établir une quelconque communication avec eux. 

La Quête d’Héraclès nous apprend également quelque chose sur le sens métaphysique fondamental de l’Athéisme. Ce Dieu transmaniaque et transmortel traversa la folie et la mort pour se retrouver lui-même, fils de lui-même : allaité par Héra de toute éternité, il dut franchir les eaux du Léthé pour épouser sa propre jeunesse. Sa quête consista à parcourir intégralement le champ de l’existence humaine, dans lequel poussent la souffrance, la folie et la mort ; or, ce parcours symbolique en douze étapes répond dans l’ordre du temps au déploiement intégral des possibilités divines dans l’orbe de l’éternité. 

Si l’on prend soin de n’exclure de la Divinité aucune de ses possibilités, il faut nécessairement prendre en compte sa liberté souveraine de ne pas se manifester, d’affirmer son absence, bref, de se nier lui-même : L’Athéisme n’est autre que le suicide de Dieu dans l’âme de l’Homme. Car le Sacré n’est pas seulement « positif » comme les Monothéismes tentent de l’affirmer, c’est aussi la redoutable merveille du Mystère insistant, du Néant persistant à être dans un entêtement paradoxal comme une blessure jamais refermée, chasme du chaos, trône inverse de l’Absurde Souverain…Ce Dieu ombrageux, qui ne croit pas en l’Homme, ce Dieu ananthrope en quelque sorte, est volontiers anthropophage…Or pour Héraclès, comme pour le Dieu, réaliser l’intégrale de soi-même consiste à tenter l’aventure de l’Autre : il s’agit de mourir pour démourir et donc demeurer, de réaliser ce saut paradoxal hors de la dualité que réclame Plotin (Ennéade VI, 7 [38], 16).

Alors, on parviendra sans doute au dénouement majeur : on desserrera le nœud du moi inférieur qui était noué autour de l’oubli (chacun d’entre nous étant noué comme un oubli spécifique du Soi unique). Mais ce dénouement ne survient que moyennant une discipline radicale, celle de l’apophase, ou via negativa, qui consiste à appliquer la célèbre maxime de Plotin « retranche tout » (Ennéade V, 3 [17], 33-38). Cette théologie apophatique commence nécessairement par un reniement du Dieu illusoire construit par la conscience malheureuse, mais il doit être poursuivi par la rude ascèse d’une remise en question par l’âme de toute réalité : c’est le neti neti, des Upanishad (Brihadaranyaka Up. II, 3,6). Les négations finissent alors par se nier elles-mêmes et à s’inverser en autant d’affirmations qui viennent briller sur les ténèbres du Ciel Retrouvé. Et c’est ainsi qu’Ariane est couronnée, et Psyché mariée, lorsqu’elle a réalisé, après sa quête douloureuse d’un époux extérieur, que l’amour du Dieu en elle n’était autre que le Dieu d’amour en elle. Ainsi tout homme doit comprendre que l’intelligence par laquelle il conçoit le Dieu n’est pas différente du regard que le Dieu porte sur lui. Ce cette compréhension qui fait que Mentor se révèle être Athéna, et que l’on sait qu’Ulysse n’est pas mort…Encore reste-t-il à en finir avec les Prétendants. Soyons sûrs cependant que l’Homme est appelé ainsi parce qu’il est présage (omen) de Dieu.

Cependant, cette révolte à la fois naïve et objective que constitue l’athéisme est illusoire, et doit être nécessairement dépassée. L’Athéisme est sain, à condition que ses tâtonnements dans le labyrinthe soit celui des Mystères, et qu’il puisse conduire à la Lumière de l’Époptie. Mais s’il s’éternise en une négation systématique, s’il n’est pas conduit par l’exigence d’une recherche vraiment transgressive, c’est au Bourbier du Tartare qu’il conduit. 

Ayant tranché la fausse transcendance, la conscience est en effet « condamnée » à errer à la recherche de la vraie, portant comme un boulet cette idole creuse, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé de quoi la remplir (or, tout ce qu’on y met y est quantité négligeable si ce n’est pas elle-même, et le monde y disparaît comme un grain de riz).  Ainsi, Shiva en colère trancha un jour, dit-on, la tête de Brahma, démiurge suffisant et persiffleur. Mais, coupable de brahmanicide, le pire des crimes, il dut errer d’âge en âge avec la tête de sa victime collée à sa main pour lui servir de bol à aumônes. Une fois délivré de son crime, ce crâne honni devint sa cinquième tête.  Nous sommes tous, nous aussi, des déicides orphelins à la recherche du Père Dû, des Dieux inhibés en rupture d’éternité. Mais nous devons nous garder de nous attarder dans ce dangereux détroit, oscillant entre Athéisme et superstition. Car nous subirions alors le sort lamentable de Penthée, archétype de l’homme aliéné, qui, convié par sa défiance même aux Mystères de son propre sacrifice sans en comprendre un traître mot, dut subir son propre démembrement. Coupable d’intelligence avec le Néant, le voilà entraîné par son aveuglement vers la dispersion, car sa faiblesse fondamentale l’avait laissé dominer en lui l’élément titanique, malgré son apparente assurance.  C’est sa propre impiété qui constitua le rite préparatoire de son immolation, mais il n’y vit que du feu : quand le Sage montre l’Un, l’Athée regarde le doigt. A la contemplation répond la distemplation.

Car nul n’est censé ignorer le caractère de l’humanité, que nous montrent Asclépios, Dionysos et Héraclès. Interface infime entre l’infini et le fini, entre la Divinité et la Nature, l’Homme en quête de sa propre nature reste un animal, et, bien souvent, le pire d’entre eux ; mais se voyant tel, il a tendance à se renier en se tourne vers la réalisation de cette nature. Cependant, dès qu’il la réalise, il cesse d’être homme et devient Dieu. De même, Dieu n’est tel que lorsqu’il se démet de sa propre nature absolue, lorsqu’il se renie (car se limiter ou se relativiser, pour Dieu, équivaut à se nier). Et c’est le chiasme des négations qui dresse en son centre la flamme de la Présence Hypostatique que nous adorons sous le nom béni d’Hestia :

Mais l’âge d’or s’éloigne, et les possibilités les plus sombres se déploient lorsque l’entropie augmente et que le temps se fatigue, que l’existence a poursuivi sa course très loin de sa source. L’image déchue de Dieu doit s’épurer à travers l’errance labyrinthique de la Modernité, avant qu’il ne se réconcilie avec lui-même, comme Ulysse doit tuer les Prétendant, c’est-à-dire épuiser les possibilités négatives de son être. Le portrait doit s’effacer peu à peu, et les pixels noirs l’emporter sur les pixels clairs jusqu’à l’effacement total qui doit restituer à Dieu son absolu Mystère. En attendant, mieux vaut mille Athées qui contribuent involontairement à dessiner la silhouette Divine qu’un seul fondamentaliste qui la dissout en la faisant exploser. 

Et si je vous disais que c’est Hermès à la Barbe Pointue qui m’a soufflé tout ça ? Vous me répondriez sans doute que ce n’est qu’un copain imaginaire, et vous n’auriez pas tout à fait tort, par Zeus, car il est une alter-modalité de moi-même en tant que Réalité Unique qui se rencontre Elle-même. 

Alors, rappelons-nous Qui nous sommes, et fuyons les clapotis de l’oubli qui bercent notre âme d’une mort monotone. Et prions ! Prions pour ne plus devoir prier.  Ou Dieu, ou Athée.






mercredi 1 février 2017

Méditation au pied de la Flamme



Salve Domina Dea Flammipotens ! Fer opem, precor, ad tua sacra veni !
Salut, Dame Vesta ! Veuille éclairer ma lanterne de Ta flamme bienveillante, pour que j’expose à tous Ta puissance et Tes bienfaits, comme il est juste !


Les Puissances Éternelles s’avancent à travers toutes choses, et leur providence traverse l’univers de part en part.
Jaillissant de leur source ineffable, elles se distinguent à l’unisson dans la Prairie Intelligible, puis, déployant leurs splendeurs dans les jardins de l’âme, elles viennent jusque dans les vallées sensibles illuminer nos vies quotidiennes, à telle enseigne que rien dans l’univers n’est jamais privé de la présence divine.
Ainsi, Dame Vesta, Ta lumière provient des régions inconnues qu’aucun œil mortel jamais n’a perçu, et où l’âme éblouie par l’évidence éclatante ne peut voir que la nuit. C’est en cette Nuit profonde que chaque Immortel puise son origine, mais Toi, Vesta, Tu es la première à en être surgie.
Comment pourrait-on Te décrire, Déesse ? Tu es la Divinité même et nos mots sont indigents devant Ta surabondante clarté ; ils sont insuffisants à Te contenir.

Sur la Prairie Intelligible

Vesta est en effet la racine même de la Divinité : Elle est l’Être qui se rend visible dans la lumière. Au matin du monde, c’est Elle qui alluma pour tous l’existence, rendant visible tout ce qui auparavant gisait, caché dans les ténèbres. Elle est comme la Signature du Sans Nom, la Primignature. C’est pourquoi les Hellènes lui sacrifient en premier en toute occasion.
Car de l’Un, on ne peut rien dire, on ne peut même pas le penser : qui pense l’Un le perd aussitôt et qui le dit le divise en sa devise même. Mais dans la Nuit sans fond ni bord, une lueur s’est levée, sans raison ni pourquoi, comme un témoin fidèle et muet de l’Inconcevable.
Elle s’est dressée comme la sentinelle de l’Indicible, la Veilleuse de l’Infini. Elle a jailli soudainement, en cet instant qui n’eut jamais lieu mais qui dure toujours, du frottement sans fin des ténèbres contre elles même, de l’affliction du Néant sur sa propre absence, de la friction du vide avec le rien. Elle a changé le deuil en Dieu.
C’est en Elle et en Elle seule que la Divinité se connaît et se voit. Elle en est à la fois le cœur et l’œil. C’est en Elle que Dieu se complet et s’émerveille : Elle en est la substance manifeste, la Protousie, la chair infinie ; Elle est la Terre ignée sur laquelle Dieu a lieu, l’Empyrée qui flamboie au-delà des étoiles, le champ d’ailes d’où proviennent nos âmes…
Allumée dans le vide infini, Elle l’occulte entièrement, Ô merveille, en son giron de lumière. Ainsi, c’est en Elle que Dieu s’est fait Dieu, c’est en cette claire matrice que Dieu s’est fait à lui-même présent. Vesta est la Haute Flamme, matrice incandescente de l’Être, sommet ardent de toute nature : elle est le Foyer éternel de l’Olympe, point de tangence du Monde avec son indicible origine, étoile polaire. C’est pourquoi Proclus écrit qu’Elle « contient les sommets de l’Univers » (Théologie Platonicienne). Elle convertit de toute éternité l’Infini en Un fini.
C’est en Elle, donc, et en Elle seule, que toute divinité a personnalité : suspendue au non-être comme une goutte paradoxale, elle est l’Hypostase Première, masquant l’Absolu de son humble lumière ; elle est l’Humière, paradoxe vivant et vie paradoxale, qui consent à manifester l’Inexprimable et à naître d’une colonne de cire où Elle vient se refléter.
Ainsi est-Elle à la fois la Mère et la Fille de toute divinité ; à la fois base et sommet de toute réalité. En Elle, toute chose prend racine et s’épanouit dans la perfection, car elle est l’Idée des Idées, la Protidée, éther vif et terre intelligible. Ainsi, Plotin dit de Dieu (Ennéade VI, 8 : 14) « C’est comme s’Il S’appuyait sur Lui-même et s’Il jetait un regard sur Lui-même » : ce regard souverain qui fonde l’existence comme expérience de soi, ce regard qui est cause simultanément de Lui-même et des autres, c’est Vesta en tant qu’Œil Solaire, comme nous le verrons un peu plus bas. Elle fonde en outre la béatitude infinie de Dieu en tant qu’il jouit de sa propre splendeur, son existence comme extase en exultation d’ampleur sans limite, son éternité comme jubilation sans début ni fin.
Image féminine de l’Unité, Elle est cette Unité elle-même qui rayonne lorsqu’elle est participée. Agir, pour Elle, c’est briller, c’est là son acte unique et royal, qui la fait « siéger à jamais » (Premier Hymne Homérique à Hestia, 3) établissant la Demeure qui lui est consubstantielle, la Regia. Sa présence primordiale fonde sa préséance sur toutes choses, en tant que manifestation focale du Bien qui se communique de lui-même, sans limite, et sans être diminué.
Cette flamme qui se donne entièrement à chaque instant, et dont la lumière symbolise pour nous la Conscience, est encore Amour par sa chaleur. Cet amour sans limite manifeste la liberté absolue du don de soi, la jouissance de se trouver à l’instant même où l’on s’est perdu : plénitude paradoxale du don infini d’une infinie fécondité, origine d’un rayonnement lui-même sans fin. Cette Amour absolu est l’essence même du soleil, qui se manifeste simultanément, de manière paradoxale, en la personne d’Apollon et en celle de Dionysos, tous deux images de la sainteté dans la sagesse comme dans la folie.
Là-bas, la flamme d’Hestia est infinie, elle est à la fois terre et feu, immense prairie de flammes humides où toutes choses sont appelées à se manifester. Elle est la table ardente et pure où tout être est invité à sa propre existence, car tous sont les convives d’Hestia, en tant qu’Elle est, par son nom sacré, le Repos (Hesychia), le Repas (Histiè), et l’Essence (Ousia), comme nous l’enseigne le Divin Platon. Elle manifeste toutes choses dans la bienheureuse simultanéité de l’Intelligible comme étant Sa corolle de splendeur.
Si Hermès, son chevalier servant, profère toutes choses à l’extérieur par la flamme sonore du Logos, Hestia montre toute chose par la parole ignée de l’Eidos. C’est en Elle en effet que tous, nous avons notre existence et notre repos, car la Déesse est une langue qui nous adresse cet appel silencieux : « Tu es ». Elle est cette Mère aimante qui instaure la conscience que nous avons de nous-mêmes et nourrit notre présence à nous-mêmes, comme une flamme unique et pourtant innombrable, qui se communique à tous et à chacun sans jamais diminuer sa clarté. Elle nous embrasse tous en son embrasement, elle fonde notre unité intime comme elle fonda en l’Un l’intime infinité.
De sa langue dressée, Elle profère toute lumière, et chasse toute confusion par la diffusion du sens qu’Elle montre par son corps même, direction primordiale de verticalité.

Dans les jardins de l’âme

Fuselée comme une amande, la flamme vestalienne déroule le fil de l’être comme le fil du regard de son œil. Elle tresse ainsi le lien cordial qui descend d’œil en œil et de symbole en symbole à travers les mondes jusqu’aux Enfers où règne Perséphone. Il n’est pas un lieu en ce monde qui ne soit, grâce à Vesta, de mèche avec l’Absolu (Fig. 1). Car son regard est en même temps la lumière voyante, efficace et opérative, qui tisse désormais les fils de l’Existence. La Déesse a déployé par sa clarté une sphère où toute chose est contenue ; sphère dont Elle est le centre omniprésent et dont Elle étend la circonférence à l’infini. C’est en mémoire de cela que ses sanctuaires sont ronds comme le soleil, le prytanée du Monde, foyer sacré de l’Immensité.
Elle est Celle qui rend visible toutes choses ; en Elle s’illustre toute image, se déploie toute splendeur, comme la Rose qui partage son parfum et qui, toujours déshabillée, n’est pourtant jamais nue ; La flamme, toujours effeuillée, garde son mystère au cœur de sa lumière, qu’elle donne sans compter. Mère de toute image, elle n’a Elle-même pas d’image, car Elle est l’Image par excellence, en qui se conjoignent le regard et l’objet regardé. Elle est la Primagie, la Proticône, à la fois une et nue puisqu’habillée de sa propre vision.
Perchée au centre de toute chose, elle en est l’intériorité, elle en affirme l’identité ; cachée dans l’intime quiddité des êtres comme une amande ignée, Elle en assure la manifestation extérieure (Fig. 2). C’est par Elle que nous avons l’intuition de l’essence ultime de chaque chose, si nous savons contempler sans disséquer. Elle est la Maîtresse de toute contemplation, et par concentration, déploie tout domaine en demeure et abolit toute effraction entre extérieur et intérieur. Et c’est là le secret de sa virginité : la flamme ne peut être pénétrée par rien qui ne soit elle-même.
Convertissant vers l’intérieur ce qui est extérieur, Elle subtilise les substances par son adorable et odorant mystère ; en retour, Elle rend manifeste tout ce qui est caché et coagule tout ce qui est subtil. Voilà pourquoi elle est la Porte de l’Imaginal : Elle spiritualise les corps et corporifie les esprits. Elle rend fragrant ce qui était pesant et flagrant ce qui était occulte. Elle est à l’origine de la conversion des êtres corporels et de la procession des êtres spirituels. En Elle réside le secret de la permanence, tant supérieure qu’inférieure : Elle en est la Puissance. Elle est le moteur de la convection de L’Être et de l’immobile révolution du Cosmos (Fig. 3).
Ainsi, toute nature, supérieure comme inférieure, est ordonnée à Hestia. L’Univers en effet est formée de l’entrelacement hiérarchique de trois Natures : au sommet de l’univers, l’ordre primordial correspond à la Nature Naturante, sur laquelle règne Rhéa, l’Abondance absolue, la Nature Intégrale, épouse de l’Intellect, Saturne. Sur la Nature médiane, naturée, et déployée comme une âme, règnent Héra, Artémis et Athéna, qui en explicitent les raisons. Enfin, parce qu’elle est passive, cette Nature Naturée ne peut se maintenir elle-même et doit s’écouler indéfiniment dans le devenir : c’est la Nature Sensible ou Nymphale, dominée par l’alternance des jours et des nuits, des vies et des morts, et c’est sur elle que règnent Déméter et Coré, sa Fille aux belles chevilles (Fig. 4).

C’est au milieu de ces six Reines que rayonne Dame Vesta : elle est la Septième, et se tient simultanément en haut et en bas, comme Hécate (Fig. 5).
Car elle est la Vie par excellence, la Vie souveraine ; et s’il est vrai que chaque Dieu, comme l’enseigne Proclus, possède deux mouvements fondamentaux : un mouvement de conversion vers soi-même et un mouvement de conversion vers son Principe, Hestia, en chaque Puissance Divine, est la Puissance de conversion vers soi-même. Elle est la vie propre de chacun des Bienheureux, le centre immobile et stable de son domaine d’action, l’essence même de sa souveraineté divine, sa Présence Efficace. Et le Présent se fit serpent…
C’est en vertu de cette vérité sacrée que les Egyptiens dans leur sagesse ont donné à Vesta l’apparence d’un serpent femelle dressé, au cou gonflé, l’Oudjat. Sur le front auguste de chaque Puissance souveraine, en effet, Elle se dresse en sifflant comme reflet de l’Idée Primordiale par laquelle Dieu se saisit lui-même comme Personne Suprême. Cette Uraeus, qui brille au front des Divinités comme la flamme sur la cire d’une chandelle, est comme un œil supérieur, marque visible de leur conscience totale et de leur présence éternelle. Cet Œil évidentiel est la matrice de l’auréole qui déploie l’être au monde spécifique à chaque Dieu, son domaine ontologique, qui est à la fois distinct et identique de ceux des autres Dieux (Fig. 6). Car les Dieux sont les uns les autres, sans séparation ni confusion, c’est là le secret de leur allélousie, et c’est dans la Flamme unique et innombrable d’Hestia qu’il faut la contempler. Et cette allélousie bienheureuse des Immortels nous est confirmée dans les Mythes sous la forme de leur Festin éternel.
Que Vesta dit-Elle de nous-mêmes ? Et que nous révèle-t-Elle de notre âme ?  Car les vérités universelles et divines assurément se reflètent dans les vérités humaines et particulières ; et si la Déesse est le foyer de la Maison Commune, la lumière du Monde, Elle est en même temps le foyer intime de chacune et de chacun de nous en tant que microcosme.
Lorsque la Divinité, dépourvue de toute jalousie, détacha d’elle-même une parcelle pour nous donner l’existence, telle un brasier d’amour d’où une étincelle avait soudain jailli,  Vesta est comme cette graine ignée qui fut semée en nous de toute éternité : elle est l’éclat natif de la Di-ignitas, l’ignitude des Dieux qui se manifeste dans la dignité inhérente à toute personne humaine ; et c’est cet héritage  sacré qu’il nous faut faire croître et fructifier dans la Majesté, en prenant soin de notre âme, et en cultivant ses vertus afin que notre conscience, signe efficace de la Déesse en nous, soit augmentée. Et lorsque la flamme gagne en hauteur, le cercle de clarté qu’elle projette augmente d’autant, et avec lui, le domaine auguste de ce qui dépend de nous, notre empire sur nous-même ; notre présence s’élargit alors que recule le vice et la malignité. Ainsi, l’homme de bien se rapproche-t-il des Dieux par son immensification

Dans les vallées sensibles

Jadis, les humains vivaient isolés, dit-on, les uns des autres, et ne possédaient pas le feu. Ils menaient une existence misérable, réduits qu’ils étaient à manger les glands, d’où leur nom de balanophages. On raconte que, par pitié pour leur triste condition, le feu leur fut accordé par le Ciel, et les hommes s’en émerveillèrent, voyant à quel point cet élément manifestait la lumière Divine dont ils avaient gardé quelque obscure nostalgie. Ils ne tardèrent pas à reconnaître en la flamme la présence d’Hestia, la Mère des Lumières, et se laissèrent persuader par son doux et clair langage de venir se rassembler en son giron pour mener une vie pure et ordonnée, tissant entre eux des relations de solidarité et de mutuelle estime.
C’est ainsi que naquirent les Cités, et que les hommes entrèrent, grâce à Hestia Prytanéenne, dans la parenté des Dieux, devenant des êtres transignés, capables de concevoir l’Inconcevable. Devenus synestioi, Citoyens-convives, les hommes commencèrent à sacrifier et à observer les fêtes, marchant, pour ainsi dire, du pas des Immortels. Et c’est ainsi qu’Hestia, la Déesse de tous les Bonheurs, relia toute cité humaine à la cité éternelle, la Citadelle Céleste des Bienheureux.
Parmi les humains, les uns, sur les bords de l’Océan, la nommèrent Bélisama, d’autres, dans les froidures du nord, Fricca ou Sigyn, Gabija sur les bords de la Baltique et Uraeus sur les bords du Nil. Même dans les Indes lointaines, on la vénère sous le nom de Sitâlâ, brasier où les jeunes fiancées sacrifient lors de leur entrée au foyer.  Mais tous les humains avaient reconnu la Déesse Flammifère et lui rendaient un culte, comme point focal de toute présence, et reflet intime ici-bas de l’Empyréenne Infinité.
C’est pourquoi Numa notre Roi institua pour la Ville une flamme éternelle, qu’il fit garder par six femmes d’exception, le miel des femmes. Et ces six femmes sont vraiment comme des abeilles autour de la flamme, septième et centrale d’entre elles.
Car c’est ici-bas que nous avons l’expérience première des Puissances Divines, et c’est dans la vie quotidienne que s’élabore nécessairement cette expérience. Elle naît dans la corolle de notre âme en sa condition incarnée, comme individu singulier dans la prairie des sens, pris dans le tourbillon des ans et des saisons. Au fil des génération et par la nature des choses s’est élaboré notre Tradition, formulée d’âge en âge par nos législateurs, assidus compagnons des mystères divins.
Chaque cycle liturgique est ainsi comme l’épopée singulière d’un astre divin sous la voûte des temples, qui déroule l’éternité mythique dans la temporalité de nos rites.
Celui de Vesta, comme il est juste, commence avec l’année sacrée, le premier Mars, et culmine entre le 9 et le 15 juin, le cycle vestal par excellence.
Car c’est le premier jour de Mars que les Vierges Vestales allument le Feu Nouveau, jour où Junon Lucine donne l’année au monde et le jour à l’année : tu nobis lucem, Lucina, dedisti (Ovide, Fastes, 3 :255). Ce jour-là, dit « saturnales des femmes », commémore aussi la réconciliation des Romains et des Sabins après l’enlèvement des Sabines, et ce jour est un jour de paix et de sérénité : la lumière est un feu qui se languit d’amour. De nouveaux lauriers ornent les maisons des flamines, et notre Déesse y danse en crépitant d’aise.
Le 6 Mars Elle est honorée conjointement aux Lares de la Ville.
Puis Dame Vesta fournira au Quirites les moyens de se purifier tout au long de l’année et le viatique indispensable à tout acte sacré.
Le 15 avril, lors des Fordicidies en l’honneur de la Terre, les cendres de l’embryon du veau seront pieusement récoltées ; le 21 avril, pour la fête de Palès et l’anniversaire de notre Patrie, les cendres du veau mêlées à celles des tiges des fèves creuses et au sang séché du cheval d’Octobre tombé le 15 octobre serviront aux Romains à purifier leurs maisons et étables, comme fumigation. Ainsi les cendres périphériques des occis dans l’année sont-elles mystérieusement rassemblées vers le centre dont elles contribuent à la régénération.
Entre le 7 et le 14 mai, les Vestales iront de nuit cueillir les épis qui permettront de fabriquer la poudre sacrificielle, la Mola Salsa.
Le 14 mai, les Vestales en deuil jettent dans le Tibre les 27 mannequins d’osier de la cérémonie des Argées.
En juin, toujours en compagnie de Junon, culmine le culte de la Déesse :
Du 7 au 15, les Matrones ont accès au Penus Vestae, habituellement accessible aux seules Vestales ; le 9, le sanctuaire rond bâti par Numa sur le Forum, et qui accueille les objets vénérables que notre Père Enée sauva du sac de Troie, est ouvert. Ce jour, les boulangers honorent Vesta. Les ânes qui font tourner les meules sont honorés de couronnes de pain (la fleur de Vesta n’est-elle pas aussi celle de la farine ?), alors que les meules sont elles-mêmes couronnées de fleurs. Les Vestales offrent à la Déesse la Mola Salsa, indispensable au sacrifice, qu’elles ont confectionné avec les épis d’épeautre et le sel.
Le 15 juin à lieu le grand nettoyage du sanctuaire, et les impuretés (stercus) sont enlevées et portées à la porta stercoraria puis au Tibre (quando stercus delatum fas). Comme la roue à aube d’un moulin éternel, l’année écope le temps, elle irrigue notre quotidien et le draine en même temps. Ses fastes, toujours renouvelés, consument les impuretés existentielles et évacuent les toxines et venins nés de l’écume des jours. Au centre de cette procession circulaire, comme une mère attentive, se tient Vesta, infatigable témoin de nos jeux temporels. Elle est l’essieu des cycles de nos existences, elle est la garante de notre inévitable retour au Foyer Natal. Bienveillante, elle brûle en silence nos ombres et nos troubles. Ainsi, Mère, en ce jour nous Te montrons combien nous sommes conscients de Ta Présence, et combien nous savons que Ta pureté condescend à nos genoux salis dans la cour du Temps. Et nous prendrons en charge, nous-mêmes, les scories du devenir et les poussières de la durée. Puis, nous irons fermer l’huis de Ton temple, jusqu’à l’an prochain, où nous espérons revenir avec un degré de clarté supérieur.
Le 7 juillet, les Vestales participent à l’ouverture de la fosse de Consus dans le grand cirque : progressivement sont ainsi dévoilés tous les étages du monde, pour qu’y pénètre la conscience-présence dont notre Dame est garante.
Le 25 Août, Ops est honorée par les Vestales à la Regia. 
Dans la nuit du 3 au 4 Décembre, les Vestales conduiront les cérémonies de Damia, dite aussi Bona Dea, exclusivement réservées aux femmes.
En février, enfin, c’est la Grande Vestale qui célébrera les rituels des défunts, lors de la Parentatio du 13 en l’honneur de Tarpeia et des Feralia du 21. Et ainsi se termine le cycle de l’an à la lueur du foyer commun du Peuple Romain.
Il nous faut accueillir les Dieux chez nous ici-bas, reflétant ainsi cette générosité qui fit que la Flamme Hypostatique se détacha d’elle-même pour nous communiquer son être. Faire cela, c’est faire acte de réminiscence, et c’est remembrer Celui dont nous sommes tous les membres épars. Cette feuille enflammée qui se détacha jadis de l’arbre chandelier de l’Empyrée pour venir poser son empreinte sur l’humus matériel doit nécessairement remonter, portée par le souffle de nos prières. Flamme certaine, Vesta est parmi nous la boussole absolue qui pointe vers les régions inétendues, nous rappelant l’éternité au cœur du quotidien.
Il n’est qu’une seule Vesta qui brille en une infinité de foyers différents, et la flamme est la même sur toutes les chandelles, éclairant à chaque fois un monde différent en son existence, mais unique en son essence. La Déesse nous enseigne ainsi l’Amour véritable, qui consiste à percevoir en autrui la Flamme divine comme simultanément même et autre, à se laisser embraser par sa rencontre, à se laisser initier par le délicieux mystère de la transpersonnalité, où l’on reconnaît la flamme comme singulière et universelle à la fois.
Vesta berce la braise de notre bonheur dans son tablier. Le bonheur en vérité est l’huile qui découle de ses cheveux, et qui fait luire toute chose de l’éclat de sa joie, celle d’avoir réintégré sa propre nature et de s’y reposer. Car chaque être ici-bas aspire à retrouver son foyer pour y célébrer ses retrouvailles et pour y communier avec l’univers entier.

Ô Vesta, Flamme Sainte,
Fais de mon cœur Ta lampe,
Fais de mes pupilles Ton miroir,
Fidèle témoin de Ta clarté.
Toi, claire conscience partout répandue,
Toujours centrale, en tout lieu, à jamais,
Détermine, Ô Déesse, de ton précieux éclat,
L’angle unique de ma visée
Dans le rayon de ton regard maternel,
Et garde la part qui est mienne dans la roue éternelle
Dont Tu es le moyeu où s’ajuste toute chose,
Toi, ardent fil à plomb des Bâtisseurs du Ciel !

VIVAX FLAMMA VIGET !

Omen sit.

Lupercus scripsit.