vendredi 31 juillet 2015

Le racisme a ceci de paradoxal qu'il ne connaît pas les races !

Il est une phobie de l'autre et de l'universel mais, comme la phobie de l'intelligence ou de la bonté, il est une des choses au monde les mieux partagées. Il est d'ailleurs peut-être (O ironie) la preuve par l'absurde que l'Humanité existe bel et bien, et qu'elle est fondamentalement une.

Une autre preuve paradoxale réside d'ailleurs dans l'extraordinaire diversité des langues : la spécificité humaine, en effet, ne réside pas tant dans le fait d'avoir une langue que dans le fait d'en avoir plusieurs.

L'homme est le pire et le meilleur des animaux, pour paraphraser Ésope : il récapitule en son âme circulaire l'ensemble des vivants, mais par là même il a le choix, en tant que Démiurge Second, de détruire en un clin d’œil ce qui a été construit par des milliers de siècles, et que le Divin regard a couvé de Son amour durant des millions d'années. L'Homme à le pouvoir exorbitant de briser par sa démesure le Miroir des Merveilles. Le racisme, le sexisme et l'homophobie, et, en un mot, tout ce qui est allophobie, c'est à dire haine de l'autre en tant qu'essence, sont des maladies du regard.

La source de ce mal est profonde et haute à la fois : elle est métaphysique. Il est en Dieu une possibilité, la haine de soi, qui ne peut pas ne pas s'exprimer. Mais pour qu'advienne un cosmos harmonieux, il est nécessaire que cette possibilité soit neutralisée, sans pour autant être niée, car alors le cosmos se dissoudrait en lui-même.

Le racisme ne fait pas exception à cette loi : nous avons tous des pulsions allophobes, car notre identité s'est nécessairement construite sur l'autophilie. Mais cette tendance doit être combattue par l'éducation, au même titre que les pulsions de meurtre, d'inceste et de viol qui nourrissent notre volonté de puissance. Si elles prennent le dessus, elles aboutissent immanquablement à la dissolution de l'individu avant sa métamorphose en personne, ce qui équivaut à une sorte de suicide spirituel.

Cela ne constitue qu'un paradoxe apparent, car si le mimétisme et l'universalisme totalitaire provoquent une sorte d'explosion de la personne, il est clair que la haine identitaire, l'autolâtrie, ne peut que provoquer, à l'inverse, après une sclérose de l'âme, une véritable implosion. Dans le premier cas c'est le solve qui est en excès, dans le second, c'est clairement le coagula. Dans les deux cas on est dans l'hybris, la démesure qu'abhorrent les Dieux.

La vérité, comme toujours, est difficile à porter, car elle consiste, pour l'individu imparfait que nous sommes, à assumer la totalité de l'univers. Et c'est cela précisément qui fera de nous une Personne.

 C'est l'enseignement que nous dispensa, non par le discours mais par les actes, le prince des philosophes, Héraklès, lorsqu'il lui fut assigné par la Nécessité de cueillir les pommes d'Or du Couchant, qui sont, peut-être, les heureux fruits de la fin de l'Histoire.

Mais, OUI, le racisme anti-blanc existe bel et bien. OUI, j'en ai été une fois la victime. Mes élèves d'antan, lorsque j'enseignais en des lieux qui, pour être hexagonaux, n'en étaient pas moins un bled colonial, m'assuraient sans ambages qu'en tant qu'Arabes ou que Noirs, ils ne pouvaient pas être racistes, puisqu'ils en étaient victimes. Impossible de leur faire entendre raison. Et tout est là : le racisme apparaît lorsque quelque part la raison se tait, ou qu'elle renonce à elle-même. La raison, cette chose au monde la mieux partagée, dit-on ; le racisme est l'abdication de l'humanité, le renoncement de l'humanité à être elle-même dans le meilleur, et la complaisance de l'humanité à être elle-même dans le pire : une infra-animalité, le braiment de l'âne carnivore qui vit en nous, le grincement de Typhon.

Cette question me tient à cœur, parce qu'elle touche un des fleurons les plus sublimes de la Sagesse de l'Antiquité, dont je m'efforce de suivre les traces, les Mystères d’Éleusis. A mon sens, le racisme s'oppose à la mystique éleusinienne, comme d'ailleurs à toute démarche touchant aux Mystères, quels qu'ils soient.

D'abord, parce que les Mystères des Deux Déesses s'adressent à ceux, qui, il est vrai, parlent clairement, un Grec irréprochable, mais aussi parce qu'ils sont expressément défendus à tous ceux qui n'ont pas les mains pures de la souillure du meurtre.

Or, l'injonction de parler clairement n'est pas, à mon avis, un précepte "identitaire" au sens moderne du terme. C'est en vérité une injonction à être en pleine possession de cette raison qui sous-tend toute humanité : "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire nous viennent aisément", énonce Boileau. Cette raison est le meilleur antidote contre la violence, qui fleurit sur le terreau de la parole trouble, du verbe torve et du malentendu ; qui s'épanouit en fleurs vénéneuses sur la parole semi-humaine et pour tout dire barbare, celle des âmes énoncées plutôt qu'énonciatrices, en un mot, l'âme de ceux pour qui l'énonciation se borne à la dénonciation.

Éleusis, d'ailleurs, garde pieusement la trace de son ouverture à l'universel, puisqu' Héraclès bénéficia, en tant qu'étranger à l'Attique, de mesures exceptionnelles pour pouvoir être initié. Avec l'Alcide, c'est l'oikouméné tout entière qui devait ensuite trouver l'accès à la Parfaite Initiation.

Quant à l'exclusion des meurtriers, il est clair qu'il y a là encore une chose profonde à contempler. Le racisme est en effet, en droit, une violence, voire un meurtre en intention, puisqu'il est la négation de l'humanité d'autrui. Il constitue de plus une impiété dans la mesure ou nous n'avons pas la latitude, en tant que mortels, de jauger de la véritable nature des autres vivants de forme humaine. La forme humaine, en effet, nous a été donnée non seulement comme un droit, mais aussi comme un devoir : celui de respecter nos semblables en tant que tels, comme limite assignée à notre volonté par les Dieux. Les Dieux ont opposé l'Homme à l'Homme, afin que l'Homme ne se dissolve pas dans la complaisance de lui-même, mais se rencontre lui-même comme autre, afin de découvrir dans cette rencontre la trace de sa propre divinité et la voie vers son propre dépassement.

Enfin, tous les hommes ne sont-ils pas des Mangeurs de Pain ? Et l'art de semer le grain ne fut-il pas une autre manière de semer l'humanité (une autre naissance de l'Homme, pour ainsi dire) ? Or, il nous est enseigné, dans l'Hymne Homérique à Déméter, que Triptolème au nom béni fut missionné par la Déesse : "tout entière, la vaste Terre se chargea de feuilles et de fleurs - Heureux qui possède parmi les hommes de la terre, la Vision de ces Mystères !". Ne pas assumer l'unité humaine, c'est se mettre du côté du Seigneur de Tant d'hôtes, de l'universalité négative, et refuser de laisser remonter Dame Perséphone au temps propice, la laisser stérile.

 Assumer l'unité humaine, c'est au contraire suivre Déméter Couronnée, sa Fille, la Blonde Coré, et son Fils, Iacchos le Bondissant, et c'est se faire l'héritier des moissons toujours nouvelles depuis l'origine des jours, non seulement en ce monde, mais encore dans l'autre. C'est contempler la seule chose digne d'être contemplée : "l'épi moissonné en silence", ce silence sacré en quoi tout se résout et qui donne ses ailes à toute science.

Iac, iac O Iacché !

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