mercredi 28 novembre 2012

J'aime l'Hellénisme et la Mos Maiorum, entre autres, parce qu'ils permettent de se régler avec rigueur sur le pas des Immortels.

Une fois qu'on a recréé autour de soi, par la patiente observance du calendrier légué par les Anciens, main dans la main avec les Dieux, ce cosmos rituel, tout redevient possible.

Je pense que cela doit ressembler aux musiciens lorsqu'après avoir appris le solfège, ils peuvent s'élancer sur les continents de l'âme auxquels la musique donne accès (parce qu'elle est un langage abstrait, informulé, qui épouse les mouvements et les aventures de Psyché).

Ainsi, le rituel est une symphonie dont l'exécution est difficile, mais dont le chef d'orchestre est rien moins que le Démiurge en personne, et dont le tempo est l'Année, son Epouse éternelle. Les anciens ne disaient-ils pas que l'homme initié aux Saints Mystères était un "Mousikos Anèr", un ami des Muses ? Et bien, c'est leur pas que nous tentons de suivre par les "Travaux et les Jours", jusqu'à ce que notre solfège se change en sortilège, dans les arpèges du temps.

samedi 10 novembre 2012

Sacerdoce Païen ?

J'ai eu récemment le plaisir de partager une discussion avec des amies Païennes sur le problème du sacerdoce dans le Paganisme contemporain.

A l'occasion de ce dialogue, j'ai pu constater à travers leurs propos combien cette notion de sacerdoce Païen pouvait susciter d'attentes et d'exigences : la fonction sacerdotale, en effet, était parée sous la plume de mes interlocutrices de tant de vertus qu'il me semblait impossible qu'une seule personne put rassembler en elle même toutes les qualités requises pour exercer la prêtrise.

Jugez-en plutôt : un prêtre ou une prêtresse devrait faire preuve d'un "amour de la connaissance et du débat", d'intégrité, de sensibilité, de douceur ; il ou elle devrait en outre savoir rester neutre dans les conflits d'égo qui agitent le microcosme néopaïen,  ayant à coeur les intérêts supérieurs de sa communauté tout en éprouvant du plaisir à remplir sa fonction ; être suffisemment stable et épanoui dans sa vie personnelle pour inspirer autrui et susciter un questionnement chez ses interlocuteurs, servir d'exmple et de guide et être le garant de la continuité de la tradition, tout en permettant la réalisation de nouveaux projets, et j'en passe...

Il fut rapidement convenu qu'une seule personne ne pourrait jamais rassembler en elle même toutes ses qualités, et il fut dès lors évident que le sacerdoce Païen (si tant est que cette notion était pertinente) ne pouvait que se présenter sous la forme d'un "réseau".

L'énumération des qualités requises pour la prêtrise m'a semblé alors pouvoir se résumer en trois fonctions fondamentales, aisément identifiables et pouvant être confiées à des personnes distinctes, pour des périodes elles mêmes déterminées, sortes de mandats sacerdotaux :

  • Le sacerdoce se présente d'abord comme une compétence essentiellement rituelle, tant il est vrai que nos religions sont d'abord des observances basées sur l'orthopraxie et non sur l'orthodoxie comme c'est le cas pour les Monothéismes Bibliques. Cette expertise rituelle, quasi technique (car qu'est-ce qu'un rituel sinon une technique sacrée ?) nécessite une grande compétence dans une tradition donnée, doublée d'une grande sensibilité, d'un instinct quasi artistique pour le fait rituel et magique. Si je veux m'adresser à Odin, par exemple, le mieux est sans doute de m'adresser à un godi confirmé.

  • Mais la prêtrise consiste aussi, indéniablement, à exercer au sein d'une communauté une certaine autorité spirituelle (bien distincte, évidemment, d'une puissance temporelle, comme l'a mis en évidence René Guénon dans un ouvrage éponyme), et, a fortiori, morale. C'est là le côté guide, conseiller, l'aspect "vieux sage"ou "vieille sibylle", dont l'ascendant sur sa communauté provient d'une longue expérience, reconnue et consacrée de manière plus ou moins formelle par cette même communauté. On peut parler ici de "prêtrise" au plein sens du terme, sachant que le mot, en français, provient du Grec presbus, l'Ancien. C'est là, également, le côté le plus "chrétien" de la fonction sacerdotale...

  • Enfin, il y a le cas spécifiquement Païen de celles et ceux qui se sont voué(e)s à telle ou telle Divinité, dont ils tendent de toutes leurs force à se rapprocher pour participer à ses vertus providentielles. On peut dire dans ce cas que de telles dévôts deviennent les représentants de leur Divinité d'élection en ce monde, leurs représentants mystiques ici-bas. Si leur ascèse (au sens premier d'exercice spirituel, et non de privation mortifère) le permet, ils peuvent devenir parmi nous comme des images vivantes des Dieux et des Déesses et nous communiquer par leur simple présence le rayonnement qu'ils reçoivent de leur source divine. Cette fonction pourrait être qualifiée de mantique, de pythique ou, mieux encore, d'agalmatique.
Il s'agit pour nous de savoir articuler ces trois fonctions distinctes, à savoir l'expertise rituelle, l'autorité spirituelle et la représentation mystique. De même qu'en démocratie, les trois pouvoirs fondamentaux se doivent d'être équilibrés, de même, dans un communauté d'observance, ces trois fonctions sacrées doivent être bien distinguées pour être correctement exercées.

Dans la tradition Gréco Romaine, où les problématiques sacerdotales et politiques furent toujours plus intimement mêlées que dans tout autre tradition pré-chrétienne, les sacerdoces étaient organisés de manière singulièrement complexe. La prêtrise en effet s'exprimait essentiellement sous la forme de magistratures temporaires et permutables, en charge d'une mission précise (bien qu'il y ait eu des sacerdoces viagers et héréditaires). A Rome, point de classe sacerdotale comparable aux Brahmanes de l'Inde Ancienne : les prêtres sont regroupés au sein de collèges sacerdotaux ; les Flamines étant dédiés au service d'une divinité particulière, les Pontifes  spécialistes généralistes du sacré, et d'autres encores occupant une fonction plus particulière (les Augures en charge de la mantique, etc.)

Si j'avais, personnellement, à instituer dans une communauté d'observance Païenne un sacerdoce, je distinguerais probablement un ordre pontifical, chargé des questions rituelles, un ordre flaminical, chargé du service des différentes divinité, et probablement un ordre initiatique où chaque confrérie mystique s'organiserait sous la conduite de quelque hiérophante...

Mais encore faut il savoir ce qu'est une communauté Païenne et ça, par Zeus, c'est une tout autre histoire !

samedi 1 septembre 2012

De Pietate Cosmica

       On a coutume de dire, non sans une cetaine condescendance, que le Paganisme est une "religion naturelle", c'est à dire une religion sans révélation. Mais est-ce bien le cas ?

       Car en fait, les religions païennes, anciennes comme modernes, se basent elles aussi sur une manière de révélation, sur un certain mode d'expression du Divin. Mais alors, à quel livre saint toutes ces religions se réfèrent-elles ? Quel est, finalement, l'Evangile des Païens ? Eh bien, notre Bonne Nouvelle, c'est le monde lui-même.

       Etre Païen, en effet, c'est avoir une relation toute particulière au monde. Plus que le nombre de Dieux que nous adorons, et qui tracasse tant les Monothéistes de tout poil, c'est bien notre rapport à l'univers qui nous distingue vraiment des adeptes des religions du désert. Pour nous, Païens, le monde est d'abord splendeur et source d'émerveillement, c'est à dire kosmos ; le même mot gerc désigne le bel et bon arrangement des choses et l'art qui rend splendide le regard qui les contemple, dans l'écrin du visage. C'est dans cette parenté, dans cette complicité du regard et de l'harmonie qu'il admire que réside, à mon avis, une des véritables clés du Paganisme. Nous faisons du cosmos un visage, ou plutôt, un bouquet de visages.

       Car pour nous le monde ne saurait être inerte ; en aucun cas il ne se pourrait envisager comme un pantin obéissant tel un cadavre à un Deus ex machina qui lui serait étranger. Si l'être du monde est la beauté même, il le doit au Divin dont il est l'expression la plus parfaite. Ainsi, même s'il aime à se revendiquer adogmatique, le Paganisme contemporain, dans la plupart de ses traditions, est en général panthéiste en matière de théologie.

       Nous professons en effet une parenté ultime, sinon une identité actuelle, entre l'univers et la Divinité. Il n'y a pour nous aucun hiatus entre esprit et matière, et du moins, même si nous constatons ce hiatus dans la vie quotidienne, celui ci n'est-il pas insurmontable. Nous refusons de toutes nos forces la supercherie métaphysique qui consiste à croire que le Démiurge aurait créé ce monde splendide à partir de rien. Cette croyance, nous la tenons pour une insulte à notre raison et au Divin lui-même. Nous croyons quant à nous que le Divin s'exprime lui-même en tant que kosmos, et que l'univers est, pour ainsi dire, sa danse.

       Or, une telle splendeur ne peut être uniforme, sous peine de se nier elle-même : la nature est l'expression temporelle d'une infinie variété de possibilités qu'aucune durée ne saurait épuiser. Le Divin qui s'y exprime ne peut dès lors apparaître que sous les espèces de la pluralité. Et c'est pourquoi nous croyons également que le monde est éternel et qu'il n'admet, à l'instar de son substrat divin, ni début, ni fin. Certes, il bat sans doute comme un immense coeur, car il est vivant ; certes, il passe necéssairement par des phases alternatives de kosmos et de chaos, et peut-être le célèbre big bang n'est-il en définitive qu'une des gigantesques diastoles de cette palpitation sans fin ; mais jamais assurément il n'est sorti du néant et jamais il n'y retournera.

       Et ce livre saint qu'est le monde est bien supérieur à toute ces révélations de papier qui n'en sont finalement que de tristes paraphrases. Cet arbre fécond, expression organique de la Totalité, vivant hiéroglyphe d'une Divinité arborescente qui tresse en son être l'Un et le Multiple, n'a rien de commun avec les sables de la dispersion et de l'instabilité. Car il est l'image de la complétude absolue, et son langage, pour n'être pas articulé, n'en est pas moins le plus parfait des langages : celui de la vie, qui s'écrit à chaque instant avec les lettres de l'être. Et ce livre, O merveille, est à lui-même son propre lecteur, car à travers l'humanité, le monde se déchiffre lui même et prend conscience de sa divinité. Mieux encore, il se commente lui-même et s'enrichit à l'infini de ses propres gloses. Ainsi l'Homme, commensal du monde, est il simultanément son commental, si l'on nous passe ce néologisme.

       Le Paganisme, comme d'ailleurs, sachons le reconnaïtre, certains courants ésotériques des Religions Abrahamiques, célèbre la perpétuelle harmonie du microcosme et du macrocosme. Le lecteur est dans le livre et le livre est dans le lecteur, comme Dieu est dans le monde et le monde en Dieu. C'est par ce déchiffrage mutuel que se réalise la seule unité à laquelle nous aspirions, cette unité qui est compréhension, et non confusion comme tentent de nous en convaincre les Monothéistes, qui sont, eux, coincés dans leur problématique d'exclusion perpétuelle. Car pour nous, Païens, le fond du problème n'est pas tant de croire que de savoir, et notre foi s'apparente plus à une science qu'à une croyance.

       Mais de quelle science s'agit-il ? Sommes nous en concurrence avec le savoir scientifique qui tente, lui aussi, de déchiffrer l'univers ? Si c'était le cas, n'imiterions nous pas ce fâcheux travers du Monothéisme qui consiste à dénigrer tout savoir mondain au profit de la seule foi aveugle, et qui s'est si longtemps opposé au progrès du savoir humain ?

       Il est vrai qu'en exilant du monde la Divinité, les Monothéistes ont désenchanté l'univers et l'ont pour ainsi dire profané ; en en faisant un objet inerte, un cadavre abandonné des Dieux, ils l'ont livré à la dissection. Mais devons-nous pour autant revenir en arrière pour ré-enchanter le monde et, au nom de je ne sais quelle pieuse révolte, régresser vers l'obscurantisme d'où la science émergea avec tant de peine ? Certes non.

       Car le Paganisme ne prétend pas s'opposer à la raison et au progrès du savoir humain. Notre piété cosmique nous enseigne le plus profond respect de la science, respect qui ne s'est jamais démenti, car nos Ancêtres ne dissociaient pas le sacré de la science, osant même avoir une science sacrée. Mais ils ne confondaient pas pour autant les deux domaines. Ils savaient que la science est plurielle, à l'image de son objet, l'univers, que nous nous plaisons aujourd'hui à appeler multivers. Etre Païen, c'est aussi savoir que le monde tel qu'il est ne nous raconte pas tout, c'est reconnaître qu'il recèle en lui une part mystérieuse et invisible qui sollicite notre imagination comme une forme supérieure de piété.

       Comme tout texte sacré en effet, le texte cosmique réclame une exégèse pour livrer son sens, sens qui est, en vérité, infini. Celui qui s'engage dans cette quête a tôt fait de comprendre qu'ici le but importe peu, mais que c'est l'odyssée elle-même qui importe vraiment. Car nos âmes sont elles aussi les noeuds de ce filet cosmique que la Déesse a jeté dans l'immensité pour retenir l'indicible dans ses mailles, pour capter le continu dans le discontinu. En déployant dans l'infini les rêts de l'espace et du temps, cette Déesse que l'Inde appelle Mâyâ et la Grèce Maïa s'habille finalement Elle-même, Se rendant ainsi multiple et chatoyante en Ses existences alors qu'Elle reste à jamais une et nue en Son essence. N'est-ce pas là précisément de la cosmétique divine ?

       Ainsi, en étant pieux à l'égard du Monde et des Dieux qui en déploient l'essence et en règlent les puissances, le Païen est pieux envers lui même comme envers ses semblables. En récitant dans la cosmologie la naissance simultanée des Dieux et du monde, c'est sa propre co-naissance que l'humain rend présente. C'est là le célèbre précepte d'Apollon : gnôthi séauton "connais-toi toi-même" ("et tu connaîtras les Dieux et le monde").

       Cette connaissance-là est une connaissance transformante, qui nous rend contemporains des Dieux et des Héros par le truchement du mythe et du rite qui se répondent l'un et l'autre dans la grammaire des symboles et par la loi de l'analogie. C'est là assurément un savoir savoureux, qui diffère radicalement, sans s'y opposer pour autant, de celui de la science. C'est la connaissance à laquelle nous exorte Isis, notre Mère en Magie : une connaissance inclusive qui promet de réconciliere le noétique et le poétique ; car qu'est-ce finalement que la magie, si ce n'est la continuation de la poésie par d'autres moyens, et qu'est ce que la poésie, si ce n'est la reconquête extatique du Réel ? Or, le Paganisme fut, est et restera la Religion des Poètes, et non celle des prophètes.

       Voici les principes qui présideront à cette navigation : Orphée était, dit-on, le chef de nage des Argonautes.

vendredi 27 juillet 2012

Bienvenus à bord !

Bonsoir !

Je me présente, Démétrios Patakès, Païen de foi hellénique, désireux de faire partager sa navigation sur les eaux mythiques, ayant mis le cap sur la Toison d'Or et s'apprêtant à remonter le courant du Phase, le Fleuve Parole.

Issu du Peuple Phéacien, décrit par Homère aux chants VI à VIII de l'Odyssée, ma temporalité sera en léger décalage avec celle de ce siècle, que pourtant j'habite avec bonheur. Si vous ne craignez pas les roulis des houles transséculaires, soyez les bienvenus à bord.